Raréfaction de l’uranium et avenir de la filière nucléaire

Les débats entourant l'avenir du nucléaire en France sont souvent teintés de passion et de controverses. Alors que certains prônent une transition rapide et totale vers des énergies renouvelables, d'autres soulignent la nécessité de maintenir et de développer le parc nucléaire existant, qui constitue aujourd'hui une part essentielle de notre mix énergétique.  

Les réacteurs nucléaires fournissent environ 70 % de l'électricité du pays. Si cette situation aura permis à la France de conserver une relative forme d'indépendance énergétique au fil du temps, les stocks mondiaux d'uranium pourraient s'épuiser d'ici 2070, rendant impératif la nécessité de se projeter dès maintenant vers des alternatives plus pérennes. 


1. La France championne du nucléaire civil
2. L'uranium : une ressource de moins en moins bon marché
3. Un contexte géopolitique de plus en plus complexe
4. La France trop dépendante de son énergie nucléaire ?
5. D'autres combustibles pour le nucléaire ?
6. Réduire la demande d'énergie et accélérer le développement des renouvelables

 

La France championne du nucléaire civil 

La situation du nucléaire en France est le fruit d'une histoire singulière, profondément ancrée dans des choix stratégiques faits au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Aujourd'hui, la France demeure l'un des pays les plus nucléarisés au monde, avec environ 70% de sa production d’électricité provenant de centrales nucléaires.  

Cette situation est le résultat d'une volonté politique, née dans les années 1970, de garantir l'indépendance du pays, à une époque marquée par les chocs pétroliers. Face à la volatilité des prix des hydrocarbures et la dépendance accrue aux importations de pétrole, la France a fait le choix du nucléaire comme pilier de sa souveraineté énergétique. 

Le pays s’est ainsi doté d’un parc de 56 réacteurs répartis sur 18 sites, devenant l’un des champions mondiaux du nucléaire civil. Le nucléaire permet à la France de produire une électricité relativement décarbonée (mais non sans déchets), ce qui lui permet d'avoir un mix énergétique moins polluant que ses voisins. 

Toutefois, cette situation a également ses revers. Le parc nucléaire français est vieillissant et nécessite des investissements massifs pour sa modernisation ou son renouvellement. En 2021, près de la moitié des réacteurs ont atteint ou dépassé leur quarantième année de service, soulevant des questions sur la sécurité et la durée de vie des installations. 
 
Parallèlement, le développement des énergies renouvelables progresse, créant un débat sur la pertinence de maintenir une telle place au nucléaire dans le mix énergétique futur. Certains plaident pour une diversification des sources d’énergie, avec une montée en puissance de l’éolien et du solaire. Toutefois, face à l’intermittence des énergies renouvelables et à l’impossibilité actuelle de stocker les surplus d'électricité, le nucléaire reste central.

 

L'uranium : une ressource de moins en moins bon marché 

L'uranium, cœur ardent de l'industrie nucléaire, revient au premier plan des préoccupations économiques et géopolitiques. Depuis les premiers jours de l'année, il a franchi la barre symbolique des 100 $ la livre, son prix ayant déjà bondi de plus de 100% l’année précédente1.

Cette envolée n'est pas le fruit du hasard, mais bien le reflet d'un monde en quête d'énergie pilotable décarbonnée, où l'atome renaît avec éclat. 22 nations, réunies sous l’égide de la COP28, se sont engagées à tripler le potentiel nucléaire mondial d'ici 2050.

La demande repart donc de plus belle et devrait s’envoler de +27% d'ici 2030, mais les capacités de production, elles, peinent à suivre, exacerbant un peu plus la pression sur les prix. 

 

Un contexte géopolitique de plus en plus complexe 

À cette toile de fond, s’ajoutent les tensions géopolitiques croissantes. Le coup d’État au Niger, deuxième pourvoyeur d'uranium de l'Union européenne en 2022, ébranle les marchés et nourrit l'inquiétude. La Russie, de son côté, garde un œil vigilant sur le Kazakhstan, premier producteur mondial, où elle maintient une influence déterminante : plus de 40% de la production globale d’uranium émanent de ce territoire sous l’orbite du Kremlin.  

La Chine, quant à elle, n'est pas en reste : elle domine les réserves namibiennes et tisse patiemment sa toile dans des pays aux ressources encore sous-exploitées, tels que la Tanzanie et le Botswana. Le Niger, en quête d'indépendance vis-à-vis de ses anciens partenaires, se trouve désormais courtisé par ces deux grandes puissances. 

 

 

Sur un autre front, le développement des technologies nucléaires innovantes, telles que les Small Modular Reactors (SMR) ou les Advanced Modular Reactors (AMR), pourrait ajouter une nouvelle pression sur la demande d'uranium. Ces technologies promettent un usage plus diffus de l’énergie nucléaire, mais avec cela, l'industrie, rigide et centralisée, devra s'adapter à un paysage qui ne cessera de gagner en technicité. 

Cependant, malgré ces convulsions, aucune crise imminente de l'uranium ne semble poindre à très court terme. Bien au contraire, la montée des cours offre la tentation de rouvrir des sites miniers autrefois jugés peu rentables (mais dont les conséquences environnementales sont plus que problématiques).  


La situation nous rappelle donc avec force que toute source d'énergie, fut-elle nucléaire ou renouvelable, repose sur le contrôle des matières premières. Et dans cette dépendance aux ressources, se cache une fragilité que les nations importatrices feraient bien de ne pas oublier. Un angle mort, en particulier pour la France, qui persiste à ignorer l'impact des approvisionnements en uranium dans son calcul d’indépendance énergétique.
 

Pour aller plus loin : energie illimitée, fausse bonne idée

 

La France trop dépendante de son énergie nucléaire ?  

À la lumière de ces réflexions, Vincent Delahaye, sénateur centriste, et Franck Montaugé, sénateur socialiste, affirment avec gravité, lors de leur rapport au Sénat le 4 juillet 2024, qu’une « relance ambitieuse et durable de la filière nucléaire est incontournable ». Leur rapport, fruit de multiples auditions et analyses, projette des besoins en électricité atteignant 700 térawattheures d'ici 2050, avec une vision où le nucléaire en fournirait 52 à 61%.2 

La commission s’inscrit dans les objectifs gouvernementaux de redynamisation du secteur nucléaire et recommande la construction de 14 réacteurs de type EPR supplémentaires d'ici 2050, en fixant toutefois ce chiffre comme une limite haute.  

Initialement perçu comme un seuil minimum, le nombre de réacteurs à construire s’est avéré, après consultation des experts, une entreprise extrêmement ambitieuse. Le prochain EPR 2, qui succédera à Flamanville — un chantier dont les retards s’étirent sur plus d'une décennie — ne devrait pas voir le jour avant 2037 ou 2038, en dépit de l’objectif fixé par l’État à 2035. Dès lors, la réalisation des 13 réacteurs restants impliquerait presque une cadence d’un réacteur par an, défi technique et logistique qui semble frôler l’impossible. 

Afin d'éviter une dépendance totale à la construction de nouveaux EPR, la commission plaide pour la prolongation de la durée de vie des réacteurs actuels au-delà de 60 ans, sous réserve du respect strict des normes de sûreté.  


L'Autorité de sûreté nucléaire a déjà donné son aval, il y a un an, pour prolonger de 40 à 50 ans la vie d'un réacteur du site du Tricastin. EDF, de son côté, mène depuis 2014 un vaste chantier de modernisation, le « grand carénage », visant à maintenir les centrales en activité au-delà de 50 ans.
 

En parallèle, la commission insiste sur l'urgence de relancer la quatrième génération de réacteurs nucléaires. Ces réacteurs, conçus pour être moins gourmands en uranium, représentent une solution pour faire face à l'épuisement prévisible de cette ressource.  

À l’échelle mondiale, la production nucléaire devrait tripler d’ici 2050, ce qui pourrait épuiser les réserves d’uranium d’ici 2070. En investissant dans cette technologie de nouvelle génération, la France pourrait ainsi se garantir des ressources en combustible pour plusieurs siècles. 

 

D’autres combustibles pour le nucléaire ? 

Le thorium 

Le thorium est souvent cité comme une alternative prometteuse à l'uranium. Ce métal radioactif est abondant dans la croûte terrestre et présente plusieurs avantages. En tant que combustible, le thorium-232 peut être converti en uranium-233, qui est fissile, à travers un processus appelé « cycle du thorium ». Les réacteurs à thorium pourraient offrir une plus grande sécurité, car ils génèrent moins de déchets nucléaires à longue durée de vie et sont moins susceptibles de proliférer pour des usages militaires.

Toutefois, la technologie pour le déploiement commercial des réacteurs à thorium est encore en développement et nécessite des investissements et des recherches supplémentaires. En d’autres termes, c’est très cher et c’est pas pour tout de suite !
 

 

Les combustibles de plutonium 

Le plutonium, issu du retraitement du combustible usé d'uranium, peut également être utilisé dans les réacteurs nucléaires. Les réacteurs à neutrons rapides (RNR) sont souvent conçus pour fonctionner avec des combustibles mixtes de plutonium et d'uranium (MOX, Mixed Oxide Fuel). Ce type de combustible permet de valoriser les déchets nucléaires et de réduire la quantité d'uranium nécessaire pour le fonctionnement des centrales. Toutefois, la gestion du plutonium soulève des préoccupations en matière de sécurité et de prolifération… 

 

 

Le cycle du combustible d'uranium enrichi 

Bien que l'uranium enrichi soit le principal combustible utilisé dans la majorité des centrales nucléaires, il existe des variétés d'uranium enrichi, y compris l'uranium enrichi à des niveaux plus élevés. Cette forme d'uranium, tout en étant techniquement une variante de l'uranium, représente une approche qui peut augmenter l'efficacité des réacteurs et prolonger leur durée de fonctionnement avant le besoin de renouveler le combustible. 

 

 

Réduire la demande d’énergie et accélérer le déploiement des renouvelables 

“L'énergie la moins chère, la plus sûre et la plus propre est celle que vous ne consommez pas."  

La sobriété consiste à réduire la consommation d’énergie par des comportements individuels et collectifs plus responsables. Cela passe par des gestes quotidiens (éteindre les appareils en veille, optimiser le chauffage, etc.), mais surtout par des changements structurels qui ne semblent pas vraiment être la priorité des gouvernements successifs (c'est un euphémisme).  

 

 

L’idée de décroissance, bien qu'encore marginale dans le débat public, gagne en pertinence à mesure que les limites planétaires se rapprochent. Elle consiste à réduire volontairement la production et la consommation dans certains secteurs qui exercent une pression démesurée sur l’environnement, comme l’industrie des combustibles fossiles, le BTP, le textile ou l’agro-industrie. 


Pour aller plus loin : Le développement peut-il être durable ?


Dans un tel contexte, les énergies renouvelables représentent problement la meilleure voie pour sécuriser et réellement "verdir" notre énergie. Certes,
le nucléaire reste une énergie de transition difficilement contournable dans l’état actuel (du moins en France) cependant, le soleil n'implosera que dans  5 milliards d'années, ce qui nous laisse un peu plus de marge qu'avec l'uranium...

Toutefois, ne soyons pas dupes, les énergies renouvelables imposent de nouveaux enjeux technologiques et géostratégiques qu'il ne faut pas non plus négligler. Voilà pourquoi tout projet sérieux et rationnel de société réellement durable ne se fera pas sans un changement systémique de nos modes de production et de consommation...



Dans les faits : quelle est la stratégie du gouvernement actuel ?

Le rapport de RTE (Réseau de Transport d’Electricité) publié en juin 20223  proposait six scénarios de mix énergétiques allant d’un scénario paritaire entre le nucléaire et les énergies renouvelables (50/50) à un scénario 100 % EnR pour 2050.

Même si les prédictions réstent flous, celui choisit par le gouvernement actuel semble s'orienter vers le cinquième (N2) où le
mix de production électrique en 2050 serait composé de 36 % de production nucléaire et 64 % de production issue des énergies renouvelables. Bien entendu, il ne s'agit que d'estimations ne prenant pas en compte de nouvelles orientations politiques dans les mois et les années à venir...

 

Investir dans les énergies renouvelables



Sources :
(1) https://www.iris-france.org/182389-va-t-on-vers-une-penurie-duranium/
(2) https://www.publicsenat.fr/actualites/parlementaire/nucleaire-le-senat-recommande-la-prolongation-de-la-duree-de-vie-des-centrales-au-dela-de-60-ans-et-la-construction-de-14-epr

(3) https://www.rte-france.com/analyses-tendances-et-prospectives/bilan-previsionnel-2050-futurs-energetiques

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