Energie illimitée : fausse bonne idée ?
L'énergie renouvelable se distingue par sa capacité à se régénérer naturellement à une échelle temporelle humaine. Ces sources d'énergie, provenant de phénomènes naturels continuellement alimentés (soleil, vent, etc.), jouent un rôle crucial dans la transition énergétique visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à diminuer la dépendance aux combustibles fossiles.
Bien que les sources d'énergie renouvelables elles-mêmes soient théoriquement inépuisables, les moyens technologiques et matériels nécessaires pour les exploiter posent des limites quantifiables. Les panneaux solaires, les éoliennes, les turbines hydroélectriques et les infrastructures géothermiques, bien que beaucoup moins néfastes pour l’environnement que les infrastructures à énergies fossiles1, dépendent de ressources minérales et métalliques qui ne sont pas renouvelables 2.
Il en va de même pour les technologies d’avenir comme la fusion nucléaire, capable de produire une énergie potentiellement illimitée mais restant toutefois gourmande en ressources combustibles, en technologie et en matériaux3.
Au-delà des contraintes matérielles, cette notion ne prend pas en compte les limites environnementales, sociales et économiques inhérentes à notre monde fini. Pour assurer un avenir durable, il est essentiel de repenser notre approche de la croissance en mettant l'accent sur l'équité, la durabilité et la gestion responsable des ressources.
- La croissance économique dépendante de notre disponibilité énergétique
- Energie et croissance illimitées : la grande overdose ?
- En finir avec le mythe de la croissance infinie
- Principe d’une économie stationnaire soutenable
- Aller vers une réelle transition énergétique
La croissance économique dépendante de notre disponibilité énergétique
Dans leur ouvrage The Economic Growth Engine: How Energy and Work Drive Material Prosperity (2009), Robert Ayres et Benjamin Warr affirment que la croissance économique depuis la révolution industrielle est essentiellement le résultat de l'augmentation de la disponibilité et de l'utilisation de l'énergie.
L'idée centrale de cette théorie est que la croissance est fortement dépendante de l'accès à des sources d'énergie abordables et abondantes. La capacité à convertir l'énergie en travail utile permet la production de biens et services, l'innovation technologique et l'augmentation de la productivité.
Historiquement, chaque grande vague de croissance économique a été associée à une nouvelle source d'énergie :
- Révolution Industrielle : La vapeur et le charbon ont permis une production industrielle massive.
- 20ème siècle : Le pétrole et l'électricité ont alimenté l'industrialisation et l'urbanisation.
- Ère numérique : Les technologies modernes, bien que plus efficaces, reposent encore sur une consommation énergétique croissante.
La notion de surplus énergétique permet donc de stimuler l'innovation, d'améliorer les infrastructures et de soutenir l'économie. Cependant, l'idée de croissance infinie, même avec un surplus énergétique continue, est absurde lorsque l’on considère la finitude des ressources terrestres.
Les matériaux de base, tels que les métaux rares, les minéraux et même certains matériaux organiques, sont disponibles en quantités limitées et leur extraction intensive conduit à des impacts environnementaux significatifs.
La surexploitation de ces ressources pour soutenir une croissance sans fin entraîne des conséquences écologiques graves : épuisement des ressources, dégradation des écosystèmes, poursuite infinie de l’artificialisation, perte de biodiversité et accumulation de déchets polluants.
L'hypothèse selon laquelle les progrès technologiques pourraient indéfiniment repousser ces limites ignore la réalité des systèmes écologiques et des cycles biogéochimiques.
« Le problème est moins la propriété de l’énergie que ce à quoi elle est destinée. Ce qui relève d’une réflexion d’un tout autre niveau. […] Nommer « progrès » une marche forcée vers le précipice est aussi inconséquent que de nommer « croissance » un emballement de notre autolyse sociétale. […] Loin de constituer une solution miracle, disposer d’une énergie propre et abondante contribuerait, tout à l’inverse, à décupler la catastrophe. Cette évidence qu’on pourrait presque dire « factuelle » demeure étonnement impensée ».4
Energie et croissance illimitées : la grande overdose ?
« L’énergie n’est pas libre et ne peut pas l’être, elle n’est pas simple, elle n’est pas abondante... Si l’on continue à raisonner en termes de production illimitée ou d’énergie libre, cela nous empêche de voir que le principal problème (du point de vue environnemental) n’est pas de savoir comment produire plus d’énergie, mais comment en produire et en consommer moins ».5
Si nous avons déjà outrepassé 6 des 9 limites planétaires, une énergie illimitée entraînera inexorablement une croissance toujours plus destructrice6.
Libérées des contraintes énergétiques, les entreprises pourraient produire sans interruption, inondant le marché de biens de consommation inutiles. Cette spirale de surconsommation et de surproduction générerait une quantité immense de déchets, aggravant la pollution de l'air, de l'eau et des sols.
La croissance démographique augmenterait la demande en ressources, nourriture, eau et logements, exacerbant encore la pression sur les écosystèmes et les ressources naturelles. Cette dynamique de croissance démographique et de consommation amplifierait la destruction des habitats naturels par l’artificialisation et l’expansion des zones urbaines, menaçant la biodiversité et perturbant les cycles écologiques essentiels.
La crise climatique peut-elle accentuer l’inflation ?
Cela vous semble familier ? Normal, puisque c’est exactement le scénario des sociétés humaines depuis la révolution industrielle. Avoir une énergie illimitée serait finalement une accélération exponentielle vers la raréfaction des ressources et une pénurie généralisée.
On pourrait très bien nous dire qu’une énergie illimitée dans un monde où l’on modérerait les excès cités précédemment serait « la solution ultime » à tous nos problèmes. Mais cet argument se contredit lui-même.
Si nous devons restreindre notre utilisation de l’énergie pour éviter des impacts négatifs, cela revient à reconnaître que l'énergie, bien qu’abondante, ne peut être exploitée sans considération des conséquences. Alors, autant fixer les limites à la source du problème, en évitant de surproduire tout en allant vers des modes de vie plus sobres.
En finir avec le mythe de la croissance infinie
L’économiste roumain Nicholas Georgescu-Roegen a souligné que les économies humaines ne peuvent être séparées des processus biologiques et physiques de la Terre. Ce qu’il appelle « bioéconomie » propose une vision holistique de l'économie, prenant en compte les limites écologiques et les impacts environnementaux des activités économiques.
Le développement peut-il être durable ?
Contrairement à la vision néoclassique de l'économie comme un système réversible et capable de retour à l'équilibre, Georgescu-Roegen a soutenu que les processus économiques sont intrinsèquement irréversibles. Une fois que les ressources sont utilisées et transformées, elles ne peuvent pas être entièrement récupérées ou réutilisées sans perte de qualité ou d'utilité, en raison de l'augmentation de l'entropie.
Les limites de la croissance infinie
- Ressources naturelles : L'exploitation croissante des ressources naturelles, comme les énergies fossiles et les minerais, met à rude épreuve les limites de la planète. L'épuisement de ces ressources, la pollution et le changement climatique sont des menaces majeures pour l'avenir de l'humanité7.
- Inégalités : La course à la croissance profite avant tout aux plus riches, creusant les inégalités et fragilisant les sociétés. La poursuite aveugle de la croissance ne permet pas de réduire les disparités et de garantir le bien-être de tous8.
- Bien-être : La croissance économique n'est pas synonyme de bien-être. Des indicateurs comme le PIB ne prennent pas en compte des aspects essentiels de la vie humaine comme la santé, l'éducation, l'environnement ou la cohésion sociale9.
« Le défi vital d’aujourd’hui consiste à rendre à l’individu la plénitude de sa vie, même si cela peut signifier une société techniquement moins efficace ».10
Principe d’une économie stationnaire soutenable
Timothée Parrique est un économiste français qui s'est imposé comme une figure majeure de la décroissance. Il critique le modèle économique dominant basé sur la croissance infinie et propose une alternative : une économie stationnaire soutenable.
Pour lui, la décroissance ne signifie pas appauvrissement, mais plutôt réorientation des priorités vers le bien-être humain, la qualité de vie et la préservation de l'environnement.
La transition vers une économie stationnaire implique des changements profonds dans les modes de production, de consommation et de répartition des richesses. La décroissance doit s'accompagner d'une réduction des inégalités et d'une répartition plus juste des ressources, pour garantir un accès équitable aux besoins fondamentaux pour tous.
L'idée centrale réside dans la rupture avec la quête effrénée de croissance. Au lieu de poursuivre une augmentation infinie du PIB, l'économie stationnaire soutenable vise à maintenir un niveau d'activité économique stable, en respectant les limites physiques et environnementales de la Terre.
Les principes clés qui guident ce modèle alternatif sont les suivants :
- Sobriété et efficacité : Réduire la consommation de ressources et d'énergie en privilégiant des modes de vie plus simples et en optimisant les processus de production.
- Economie circulaire : Allonger la durée de vie des produits, favoriser le réemploi, la réparation et le recyclage pour minimiser les déchets et préserver les ressources naturelles.
- Production locale et relocalisation : Encourager les circuits courts et la production locale pour réduire l'empreinte carbone liée au transport et soutenir les économies locales.
- Répartition équitable des ressources : Garantir un accès équitable aux besoins fondamentaux pour tous, en luttant contre les inégalités et en favorisant une répartition plus juste des richesses.
- Bien-être non-matériel : Valoriser d'autres aspects de la vie que la consommation matérielle, tels que le temps libre, les relations humaines, la culture et la connexion à la nature.
Transition vers une production soutenable :
- Privilégier les énergies renouvelables et les technologies sobres en ressources.
- Développer des activités économiques respectueuses de l'environnement, comme l'agriculture biologique, l'artisanat local et l'économie circulaire.
- Encourager l'innovation et la recherche pour trouver des solutions durables aux défis environnementaux.
Réduction des inégalités et justice sociale :
- Mettre en place des politiques de redistribution des richesses pour réduire les écarts de revenus et favoriser l'accès aux besoins fondamentaux pour tous.
- Développer des systèmes de protection sociale solides et universels.
- Renforcer le pouvoir des communautés locales et des groupes marginalisés.
Changement des mentalités et des valeurs :
- Éducation à la sobriété et à la consommation responsable dès le plus jeune âge.
- Promotion de modes de vie alternatifs basés sur la coopération, la solidarité et le respect de l'environnement.
- Valorisation du bien-être non-matériel et du temps libre.
- Défis et perspectives d'une transition réussie
Pour aller plus loin : écologie : dans quels secteurs investir ?
Aller vers une réelle transition énergétique
La transition énergétique, dans le contexte actuel, apparaît plus que jamais comme une nécessité impérieuse pour assurer la viabilité de notre planète. Les récentes tendances mondiales montrent une augmentation significative de l'usage des énergies renouvelables, mais cette évolution se superpose souvent à une utilisation encore élevée des énergies fossiles. Cette « accumulation énergétique », où les nouvelles sources d'énergie ne remplacent pas suffisamment les anciennes, pourrait mener à une situation intenable11.
« L’expansion illimitée est intenable dans un monde fini, elle détruit la nature et fait peser une menace existentielle ».12
Pour envisager un avenir viable, il est impératif de réduire drastiquement notre dépendance aux combustibles fossiles tout en soutenant le développement des énergies renouvelables.
Dans un scénario idéal, 100% renouvelable, le nucléaire pourrait servir de levier de transition temporaire malgré ses limites bien documentées et les critiques tout à fait légitimes à son égard13. Toutefois, il est crucial de ne pas retomber dans les mêmes pièges que par le passé, où l’énergie est perçue comme une ressource quasi illimitée. Cette vision erronée a conduit à des excès de consommation et à un gaspillage généralisé des ressources naturelles.
Soutenir la croissance des énergies renouvelables
L’énergie, comme toute ressource précieuse, doit être utilisée avec discernement. Chaque action, chaque pression sur un interrupteur, mobilise des ressources et a un coût environnemental. Cette réalité s’applique également à l’eau, dont la gestion durable est tout aussi cruciale. La sobriété énergétique et hydrique doit devenir une priorité. Cela implique de repenser nos modes de vie et de consommation, en adoptant des schémas de vie plus simples et plus respectueux de l’environnement.
La lutte contre la consommation inutile, comme celle générée par la fast fashion, doit être intensifiée. L'industrie de la mode rapide est une source majeure de pollution et de gaspillage, et son modèle économique repose sur l'obsolescence programmée et un renouvellement constant des collections. Cette frénésie de consommation n'est pas soutenable.
De même, l'agro-industrie, souvent pointée du doigt pour ses pratiques intensives et ses impacts environnementaux négatifs, doit être réformée en profondeur. Une transition vers une agriculture plus durable, respectueuse des écosystèmes et des cycles naturels, est indispensable.
La transition vers les énergies renouvelables doit être accompagnée d’un changement profond de nos habitudes de vie, de consommation et de production. C’est un défi de taille, mais c’est aussi la condition sine qua non pour garantir un avenir durable à notre planète.
Sources :(1) https://www.lumo-france.com/blog/2023/09/26/comment-lumo-calcule-mon-impact-environnemental-et-la-capacite-energetique-financee-lorsque-j-investis-dans-les-energies-renouvelables(2) https://www.lumo-france.com/blog/2023/05/30/filieres-de-recyclage-des-energies-renouvelables-comment-gerer-les-dechets-et-assurer-le-recyclage-des-equipements-solaires(3) https://www.lumo-france.com/blog/2023/08/03/a-la-conquete-des-energies-renouvelables-du-futur(4) L’Hypothèse K., La Science face à la catastrophe écologique, Aurélien Barrau, 2023(5) https://youmatter.world/fr/categorie-economie-business/energie-libre-explications-ecologie/(6) https://www.radiofrance.fr/franceculture/pollution-chimique-sur-neuf-limites-planetaires-cinq-ont-desormais-ete-depassees-6534920(7) https://www.ipcc.ch/reports/(8) https://thedocs.worldbank.org/en/doc/206293abe6ad06f4dc8c2fb541a3b93b-0330272022/original/Chancel2022WB.pd(9) https://www.theglobaleconomy.com/rankings/happiness/OECD(10) Karl Polanyi, La mentalité de marché est obsolète, 1947(11) https://reporterre.net/Jean-Baptiste-Fressoz-La-transition-energetique-n-a-pas-commence(12) Contre la sobriété technocratique, Pierre Thiesset, paru dans Décroissances, Regards croisés sur les urgences du temps présent, 2023.