« La performance financière doit être un moyen de servir l’humain et la société » - Rencontre avec Hervé Lucas de chez CVE

Co-fondateur et co-président de CVE (Changeons notre Vision de l’Energie), Hervé Lucas a accepté de discuter avec nous des énergies renouvelables et de la nécessité de remettre l’humain et le vivant au cœur des préoccupations politiques et entrepreneuriales. Un discours inspirant pour cette entreprise a mission d’envergure internationale, récemment labélisée B Corp, et qui compte bien rester un acteur de premier plan de la transition énergétique et écologique.  

 

Pourriez-vous vous présenter succinctement et nous expliquer ce qui vous a amené à fonder CVE ?  

J’ai reçu une formation d’ingénieur agronome à l’école AgroParisTech avant de suivre un MBA à la Sorbonne. Une fois diplômé, j’ai travaillé chez Degrémont en tant que Project Manager, dans le domaine du traitement de l’eau. J’ai ensuite été à la tête d’une petite entreprise spécialisée dans l’eau et l’assainissement dans le sud-ouest de la France. Les questions liées à l’eau et à l’environnement ont toujours été au cœur de mes préoccupations aussi bien lors de mes études que dans ma vie professionnelle. 

En 2009, nous lançons CVE avec Pierre Froidefond et Christophe Caille. L’aventure a commencé à 3 et nous sommes aujourd’hui 450 collaborateurs. C’est assez étourdissant ! 

J’avais pour volonté de quitter les grands groupes pour m’affranchir des fonctionnements verticaux internes avec, parfois, des postures carriéristes allant à l’encontre des intérêts collectifs. Notre désir commun était donc de bâtir une entreprise en phase avec nos valeurs humanistes et nos engagements en termes d’écologie.  


Pour ma part, je m’oppose à la théorie de Milton Friedman selon laquelle une entreprise a pour seule finalité de faire du profit. On peut tout à fait mettre l’humain au centre de l’entreprise en restant performant et rentable. La performance financière doit être un moyen de servir l’Homme et la société. Non l’inverse. 
 

 

Est-ce toujours ce que vous voulez dire aujourd’hui avec la phrase qui caractérise CVE : «Mettre l’humain et la planète au cœur de l’énergie de demain ? » 

Exactement. C’est avant tout notre raison d’être. Nous devons nous demander chaque jour ce que notre activité peut apporter à la société. Cela passe évidemment tout d’abord par notre impact humain dans nos  rapports en interne. Comment considère-t-on nos collaborateurs ? Comment organise-t-on les espaces et les temps de travail de façon collaborative et bienveillante. Comment participe-t-on à l’épanouissement collectif et individuel ? etc.  

Le second type d’impact est sociétal : comment nous interagissons avec notre écosystème, et pas uniquement business, mais avec la société qui nous entoure. Nous faisons également du mécénat financier pour soutenir des associations ou du mécénat d’entreprise et de compétence. L’idée reste d’impliquer nos collaborateurs dans nos engagements. 


À ce titre, CVE a lancé en 2022 sa plateforme de l’engagement avec la plateforme « vendredi » et a porté
à 35 heures par an et par collaborateur le volume d’heures dédiées au mécénat de compétences. Les équipes disposent d’un accès privilégié aux huit associations partenaires de CVE – Massajobs, Les Entreprises pour la Cité, Apprentis d’Auteuil, le Contact Club, Force Femmes, Café Joyeux, l’Association d’Aide aux Jeunes Travailleurs et Watch the Sea – ainsi qu’à plus d’une cinquantaine d’associations référencées. 

 

 

Enfin, le troisième type d’impact est environnemental. Nous ne devons pas nous contenter de produire des énergies renouvelables. On doit aussi se poser la question de : comment ces énergies renouvelables sont-elles produites ? Nous sommes bien entendu convaincus que les EnR sont positives pour la société et l’environnement. Mais, comment les rendre toujours plus vertueuses ?   

Chez CVE nous avons toujours eu à cœur de produire une énergie renouvelable locale, avec une vision décentralisée, comprenant des petites installations réparties sur le territoire qui permettent d’être plus proche des lieux de consommation, de limiter les pertes liées au transport et entrent dans la notion de production en circuit-court.  


En étant ancrés dans les territoires, l’énergie devient plus tangible. Le modèle s’est trop longtemps basé sur une production d’énergie déconnectée du quotidien, loin des yeux du consommateur qui ne prend pas conscience des conséquences de sa consommation. Le pétrole est produit ailleurs et nous ne constatons pas immédiatement les externalités négatives qu’il produit sur son environnement. 
 

Voir et savoir où et comment sont produites nos énergies renouvelables, dont les externalités négatives sont très faibles, est une façon, en effet, de remettre l’humain et la planète au cœur des énergies.  
 

 

Alors justement, CVE, tout comme Lumo, est labélisée B -Corp, pouvez-vous nous en dire plus sur ce label qui permet de mesurer l’impact positif des entreprises sur la société et l’environnement  ? 



J’ai découvert ce
label il y a cinq ans lors d’un voyage aux Etats-Unis. Avec mes associés, nous nous sommes immédiatement reconnus dans les valeurs proposées par B Corp. C’est tout ce que nous avions déjà mis au cœur du projet CVE mais avec des outils pour mieux se structurer.  

La méthodologie B corp nous permet de repérer les axes d’amélioration et de maintenir une certaine exigence. En parallèle, le statut d’entreprise à mission, avec son cadre très différent, complète bien cette certification. Il offre en effet une plus grande hauteur de vue ainsi qu’une capacité à se projeter avec une feuille de route.  

Je me réjouis de cette certification car je pense que cela permet de montrer l’exemple, de donner de nouvelles ambitions aux entreprises et de changer progressivement le système économique de l’intérieur. Je constate que nous sommes de plus en plus nombreux à penser que le profit n’est pas la finalité, mais le moyen de vivre ensemble durablement, alors je suis optimiste pour l’avenir ! 


Dans cette volonté d’exigence qui vous caractérise, votre outil maison « TIC TIL » permet de rendre compte d’une façon assez originale des répercussions de vos activités sur l’environnement et la société. 

Nous produisons des énergies renouvelables qui dégagent moins de GES (Gaz à effet de serre) que n’importe quelle autre énergie fossile. Cependant, cela ne nous dispense pas de rendre compte de l’impact carbone sur tout le cycle de vie de nos infrastructures. Par souci de transparence bien sûr mais aussi pour comprendre où nous pouvons nous améliorer. 


Par exemple, selon sa provenance, son mode de production, un panneau solaire pourra avoir un bilan carbone très différent. Nos clients doivent être en mesure de le savoir et pouvoir choisir de façon éclairée le prix de l’électricité qu’ils sont prêts à payer en fonction de l’impact produit par celle-ci.
 

Le TIC, pour Taux d’Impact Carbone, nous permet de mesurer les GES produits sur l’ensemble du cycle de vie d’une infrastructure pour 1 kWh d’électricité produite. Nous prenons en compte : la phase d’étude et de conception, la phase de construction, la phase d’exploitation et la fin de vie du projet.  

Le TIL, pour Taux d’Impact Local, nous permet de mesurer la valeur ajoutée générée sur l’ensemble du cycle de vie d’un projet solaire par euro investi, ainsi que le nombre d’emplois directs, indirects et induits (revenus supplémentaires générés et réinjectés dans l’économie) générés grâce à la mise en place de nos projets. Le TIL s’exprime en euros générés par euro investi et en équivalent temps plein soutenu.  


L’objectif est d’avoir la capacité de discriminer des projets en fonction de leur impact sur le tissu économique local en intégrant ces indicateurs extra-financiers. Ces outils ont fait l’objet d’une revue critique par le laboratoire OIE de l’Ecole des Mines ParisTech, qui a conclu à la conformité de l’outil avec la méthode d’Analyse de Cycle de Vie (ACV) et les normes ISO 14040 et 14044.. 
 

Aujourd’hui, nous sommes en mesure de déployer ces outils TIC et TIL sur l’ensemble de nos projets solaires en France et à l’international et avons pour ambition de parvenir à les étendre à la méthanisation.  

 

 

À ce sujet, pensez-vous justement qu’il existe des marges d’amélioration des filières d’approvisionnement ?  

Certaines choses ne dépendent pas de nous et il est difficile d’agir dessus. Mais, il faut bien prendre conscience que nous sommes actuellement dans une phase de transition. Il reste encore beaucoup de voies d’amélioration à explorer mais nous ne pouvons pas tout faire d’un coup et révolutionner les filières d’approvisionnement, comme par magie.  

Toutefois, nous souhaitons continuer à améliorer notre outil de mesure en mettant en place un Taux d’Impact Biodiversité et un Taux d’Impact Matière. C’est donc dans nos ambitions de prendre également en compte ces données, bien qu’il soit encore très complexe de les récolter et de les exploiter correctement.  

Certes, les énergies renouvelables ne sont pas exemptes de défauts, nous pouvons toujours faire mieux, aussi bien sur la façon d’extraire les matériaux que de les recycler en fin de vie. En attendant, le bilan est largement plus positif pour la société et l’environnement que de continuer à utiliser les énergies fossiles. Les choses se font et se feront progressivement.  

 

CVE est un groupe implanté dans plusieurs pays (France, Espagne, Chili, Etats-Unis, Afrique du Sud) et propose du solaire, du biogaz et de l’hydrogène. Pourriez-vous nous expliquer les synergies qui co-existent entre les différents territoires et les différentes EnR produites ?  

En plus de l’intérêt d’une certaine mixité culturelle, les équipes sont confrontées à la diversité. Cela permet de voir les choses sous un angle différent et parfois d’améliorer nos façons de faire, de bousculer nos habitudes. 

Nous devons également nous conformer à une variété de réglementations locales. Cela encourage l'innovation en matière de conformité réglementaire, notamment dans des domaines tels que les contrats d’achat d’énergie. 


En opérant à l'échelle mondiale, nous pouvons également mettre à profit notre R&D afin d’améliorer nos équipements et nos technologies déployé
es sur le terrain. Nous rendre compte des différentes configurations possibles, nous adapter à des demandes différentes… 

Et puis, bien entendu, une synergie au niveau des énergies elles-mêmes entre le biogaz, le solaire et l’hydrogène. L’hydrogène par exemple peut coûter cher à produire si on ne maîtrise pas le coût électrique. Grâce à nos centrales photovoltaïques, nous pouvons fabriquer un hydrogène propre et peu coûteux.  


La synergie du biogaz et du solaire avec le domaine agricole est d’ailleurs très intéressante.  

Mon beau-père étant agriculteur et ayant été moi-même formé comme ingénieur agronome, la convergence des énergies renouvelables avec le monde agricole m’importe beaucoup.   

C’est un moyen, je pense, de créer des relais de croissance et de soutenir une activité parfois très difficile. L’agrivoltaïsme permet de maximiser l'utilisation des terres agricoles et de dégager des revenus complémentaires pour l’exploitant. Les panneaux solaires sont également des ombrières pour les troupeaux et participent au bien-être animal lors des périodes de forte chaleur. Ils aident également à favoriser la repousse de l’herbe située en-dessous.  



En parallèle, la méthanisation permet de convertir les déchets organiques agricoles, tels que les résidus de cultures, les fumiers et les sous-produits de l'industrie agroalimentaire, en biogaz. Ce biogaz peut être utilisé pour produire de l'électricité, de la chaleur ou du carburant, réduisant ainsi la dépendance aux combustibles fossiles. Le résidu solide de la méthanisation, appelé digestat, est riche en éléments nutritifs. Il peut être utilisé comme engrais organique pour améliorer la qualité des sols et augmenter la productivité agricole.
 

Enfin, la méthanisation permet de capturer et de valoriser le méthane, un gaz ayant un pouvoir effet de serre 84 fois plus important que le CO2 ! Cette valorisation des déchets agricole contribue donc à réduire les émissions de gaz à effet de serre issues de l'agriculture. 


CVE souhaite se positionner sur la fabrication d’hydrogène renouvelable via électrolyse de l’eau. Cet hydrogène sera-t-il vraiment « vert » et conçu uniquement à partir d’énergies renouvelables ?  

Nous nous intéressons en effet à l’hydrogène en tant que producteur. 

Le premier usage va dans la logique de décarboner les processus industriels qui utilisent de l’hydrogène. Il s’agit d’hydrogène produit à partir d’hydrocarbure. Nous souhaitons pouvoir le remplacer avec de l’hydrogène fabriqué à partir des énergies renouvelables, qu’on appelle “hydrogène vert”.  


Ensuite, nous souhaitons décarboner la chaleur industrielle en remplaçant le méthane ou le gaz naturel par de l’hydrogène vert.
 

Troisième usage : décarboner les transports lourds (terrestres, fluviaux, maritimes). 


Nous pouvons également imaginer utiliser l’hydrogène à des fins de stockage dans des cas de pic de production d’énergies renouvelables.  

 

Qu’en est-il des projets de liquéfaction du CO2 ? 

Lorsque nous produisons du biogaz ; on obtient 65% de biométhane et le reste est majoritairement du CO2. Actuellement le CO2 repart dans l’atmosphère. Il faut savoir que, dans tous les cas, ce CO2 aurait été généré puisqu’il est produit à partir de déchets existants que nous exploitons pour créer le biométhane.  

Toutefois, nous nous sommes dit qu’il y avait quelque chose à faire avec. Après obtention de la labellisation du pôle de compétitivité CapEnergie, nous avons expérimenté sur notre site Equimeth situé au sud-est de Paris, la liquéfaction du CO2 que nous captons, pour ensuite le transporter et le valoriser pour différents usages industriels.  

Une seule de nos installations biométhane est capable de produire 3000t de CO2 biogénique par an. Le potentiel est donc énorme.  


Une fois de plus, cela illustre bien notre ambition d’optimiser les énergies renouvelables comme potentielle valeur économique. Avec pour but, in fine, de rendre service au vivant dans son ensemble et d’améliorer sans cesse le monde dans lequel nous évoluons ensemble. 
 

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